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31 août 2008

Carnet de santé (Première partie): De quoi mourrons-nous?

29 ans n'est pas un âge pour mourir. De cette inconnue, je ne sais qu'une chose ou deux: qu'elle a été arrachée de cette vie à la fin de sa troisième décade. Que peu de jours avant elle était pleine de vie, s'étant même occupée seule de l'organisation d'une fête qui avait dû attirer beaucoup de monde. Quelque chose comme un baptême ou une première communion. Parce que 29 ans n'est pas un âge pour mourir, je n'ai pas pu m'empêcher de demander la cause d'une telle tragédie. Derrière l'insoutenable tristesse de la voix de cette grande sœur qui a prononcé tuberculose osseuse - la cause officielle du décès - il y avait de la résignation. Beaucoup de résignation. Pas le moindre soupçon de révolte. Mais l'acceptation d'une fatalité. Quatre jours de maladie seulement auraient suffit pour que se produisît l'irréparable. La narration paisible. Mon bouillonnement intérieur. Et puis ma réplique a fusé, impromptue. Je n'achète pas la tuberculose osseuse. Et la voix, paisible face à moi, a dû me dire d'autres choses. Que c'était tout à fait inattendu. Qu'elle préparait son retour au pays pour les obsèques. Déjà j'avais déconnecté. Je pensais à mes morts à moi, ceux dont la disparition m'avait affecté au plus profond de mon être ou bien que j'avais vaguement connus et dont les causes les plus farfelues avaient été servies pour expliquer la disparition. Mon père. Foudroyé moins de deux ans après sa retraite de la fonction publique et en plein militantisme social. De retour d'un pénible et long voyage en train. Une céphalée violente et brutale. Un coup de tonnerre dans un ciel bleu. Une rapide altération de son état de conscience. En moins de 24H son nom allongeait les colonnes nécrologiques. La famille X, Mme Un Tel et ses enfants annoncent le décès d'Un Tel des suites d'une courte maladie. Une encéphalopathie hypertensive selon l'acte officiel du décès. Un écran de fumée à destination du profane. Un parfum de connaissance pour dissiper cette haleine alcoolique qu'au dire de feue ma mère le toubib exhalait. Une céphalée brutale et sévère. La paralysie d'un hémicorps et le coma qui suivent. Comment ne pas en faire un accident vasculaire cérébral. On peut même se mouiller plus en pariant qu'il était hémorragique. Mais dans cet hôpital départemental, troisième niveau administratif après le gouvernement central et la province, où n'existait même pas un appareil de radiographie standard pouvant permettre le diagnostique d'une pneumonie, papa n'avait aucune chance que sa maladie fût convenablement diagnostiquée et que donc un traitement adéquat fût appliqué. Elle avait 36 ans et était mère pour la première fois. Une maternité longtemps espérée. Une adorable petite fille venue au monde par effraction. Accouchement par césarienne. Un nuage de bonheur durant trois jours. La chute inattendue au quatrième jour. Ma grande sœur se lève de son lit d'hôpital, fait un malaise et s'effondre brutalement. Puis les choses se précipitent. Le coma et la mort s'en suivent très vite. 36 ans et des projets plein la tête. 36 ans et le bonheur coupé court. A prix d'or. Elle s'était attachée les services de la star des gynécologues alors au pays. Il se dit qu'une première dame était de ses CLIENTES. Un commerçant de la santé qui m'avait dit hémorragie cérébrale. M'avait conduit du haut de son arrogance voir son collègue radiologue qui avait répété hémorragie cérébrale en me montrant une image de calcification cérébrale qui même si elle avait été une hémorragie n'aurait pas expliqué les symptômes. Un gynécologue star qui avait confessé à mes frères et sœurs son incompréhension et avait suggéré quelque intervention surnaturelle. Comment pouvait-il comprendre quand il fondait son diagnostic sur le seul examen qui eût permis de l'exclure? C'était un ancien maire de département. Le même département que celui évoqué précédemment. Pas donc le plus indigent du pays. Il se plaignait de mal de dos. Avait consulté une première clinique privée. Puis un hôpital public de renom de la capitale. Il avait même pu bénéficier d'un scanner. On avait pu endormir la douleur avec des dérivés morphiniques pendant quelques jours d'hospitalisation. Le retour à domicile. La récidive de la douleur. Un autre spécialiste consulté, dans un hôpital universitaire cette fois. La dégradation de son état. Le décès. La cause du décès: "lombalgies" (= mal au dos). On peut le dire, cet ancien maire avait eu mal au dos à mort. L'indulgence dont bénéficie l'hôpital dans mon pays est à la mesure de la perception mystique qu'on en fait et qu'on fait de la maladie. Tout ici "est lié à la terre et aux esprits" (L. Trouillot). La naissance, la mort, la domination d'un tel sur le pays tout entier, sur la province, le département, le village ou le quartier. La maladie aussi. L'hôpital fait partie d'une mystique. Un passage possible dans le rituel du "dés-envoûtement". On y va de la même dynamique que celle qui mène au marabout ou au guérisseur. Peu importe l'ordre. Moins que sous d'autres cieux, on en exige des résultats. Il n'est qu'une étape dans le parcours du malade. Puisqu'il n'est soumis à aucune obligation de résultat, il n'est l'objet d'aucune remise en cause. Notamment l'adéquation entre résultats et moyens n'est jamais en interrogation. Matériellement, l'hôpital apparaît au Cameroun comme un volume piégé par quelques murs. Durant mon enfance, j'ai fréquenté comme la majorité de mes concitoyens sans doute, les dispensaires qui sont la structure hospitalière de proximité par excellence. Le paludisme reste la plus grande tueuse du pays et pourtant aucun de ces dispensaires n'étaient équipé pour la prise en charge convenable de cette maladie. Car la goutte épaisse, unique technique diagnostique courante, ne suffit pas forcément à une prise en charge efficace. Il faut aussi pouvoir établir la sévérité de l'affection pour déterminer par exemple chez qui un traitement per os sera suffisant et chez qui il faudra envisager d'autres voies thérapeutiques. D'aussi loin que je me souvienne, je n'y ai jamais vu d'appareil de radiographie. Et pourtant, les ancêtres me sont témoin que j'ai vu des gens tousser autour de moi, qu’en conséquence de nos jeux d'enfants des amis ont souvent été victimes de fractures diagnostiquées sur base de déformation osseuse; mais combien d'entre nous avons eu des fractures non déplacées? Combien de ces gens qui toussaient souffraient de pneumonie ou d’autres affections plus sévères. Bref le niveau d'équipement moyen de l'hôpital reste frustre. Outre que le médecin est démuni dans la prise en charge du patient, mais son éventail de diagnostics différentiels est limité. Ce dernier aspect est assez manifeste dans les diagnostics empiriques que les populations évoquent chaque fois qu’elles ont un souci de santé. On parle de grippe, de paludisme, de mal d’estomac et parfois de typhoïde. On s’auto-médique sur base de cette présomption empirique au paracétmol sous son appellation pharmacologique et sous des appellations commerciales. On ne se sent pas forcément mieux et les outils de santé de proximité ne sont pas pourvus pour le diagnostic d’une intoxication à cette molécule. Il apparaît alors surnaturel qu’un tel soit mort d’une de ces maladies alors que tel autre aurait survécu. Le fait est peut-être justement que les gens meurent probablement d’autres dysfonctionnements physiologiques non identifiés. Mais combien de structures médicales populaires peuvent évoquer des diagnostics au delà des empirismes habituels ?
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