1 janvier 2009
"Lettre à Jimmy" de Alain Mabanckou
Si j’ai repris la lecture de la « Lettre à Jimmy » de Alain Mabanckou (AM), c’était pour mettre à l’épreuve l’impression plutôt désagréable que j’en avais gardée en première lecture. L’incitation à lire cette lettre dès sa sortie remonte à plus loin. Il y a quelques mois, quelques années même, l’Afrique était invitée de la grand-messe de la francophonie. Une polémique était alors née dans le milieu des lettres francophones africaines sur le thème du rapport entre langue et écriture. J’avais trouvé assez légère l’argumentation de Mabanckou comparée à Rahimanana, Mbembé et autres< Nganang. N’ayant lu de Mabanckou que son « Verre cassé » ( j’en ai eu marre de ne pas en finir de recommencer « Bleu Blanc Rouge » que j’ai fini par abandonner), je voulais apprécier l’essayiste derrière le romancier.
Il faut dire que le ton choisi par l’auteur est assez déroutant, à mi chemin entre celui de l’écolier écrivant à son maître et l’oraison funèbre. Qui ne connaitrait pas Baldwin pourrait avoir le sentiment qu’il s’agit d’un discours prononcé au chevet d’une dépouille gisant là dans la pièce. AM choisit le « tu » de la familiarité pour résumer le parcours de l’intellectuel décédé 20 ans plus tôt. Sur la quasi totalité du texte, il s’agit pour lui de retracer – presque chronologiquement - l’œuvre et le parcours singuliers d’un romancier, dramaturge et essayiste de génie. Il est très peu question de l’analyse de l’œuvre - au sens d’une lecture méta textuelle. Et quand une telle lecture est proposée, elle est quasi toujours référée. Appel étant alors fait à des biographes ou à des journalistes qui sont cités. Cette approche finit par donner au texte un côté « James Baldwin pour les Nuls ».
A trois reprises cependant, Mabanckou s’affranchit de ce résumé de parcours pour proposer quelques analyses. Celles-ci ne concernent pas directement l’œuvre de l’auteur mais, à partir de celle-ci, divergent pour évoquer des situations ou des débats contemporains.
Fin des années 1940, Baldwin dénonce le « roman d’opposition » qui « privilégie la morale à l’art ». Il tue au passage deux idoles : A.B Stowe (« La case de l’Oncle Tom ») et Richard Wrigth ( « Black boy » ). Partant de cette critique, AM dirige une charge contre le mouvement de la négritude, comme il est de bon ton parmi nombre d’auteurs africains contemporains, sans beaucoup de nuance et surtout dans une certaine incohérence puisque la satire aboutit à célébrer le « Cahier d’un Retour au Payas Natal » de A. Césaire qui n’est autre que l’un des co géniteurs de la…négritude. Le fait est pourtant très humain que la négritude avait ses génies et ses cancres et n’était pas un label de qualité. Il en est de ce mouvement là comme de tout autre courant artistique.
Le deuxième moment de digression concerne le prétendu antisémitisme noir. En gros AM critique l’incapacité des noirs de France à susciter l’indignation à partir des tragédies concernant des ressortissants de cette « communauté ». Il part du tragique et crapuleux assassinat d’un jeune juif, Ilan Halimi, par un gang de petites frappes d’une banlieue française (baptisé à l’époque le « gang des barbares »….barbares ! à quoi cela renvoyait-il déjà dans la Rome antique ?). Il reprend à son compte les conclusions médiatiques émises à l’époque avant même que l’enquête judiciaire n’ait débutée : crime antisémite. D’accord, le propos n’est pas dans la qualification de l’acte mais il n’est pas venu à l’esprit de grand monde qu’il s’agissait de délinquants pas très futés qui n’avaient retenu comme critère discriminant pour sélectionner leurs victimes que celui de l’appartenance culturelle. Formulant une équation imbécile juif égale riche. Partant de cette tragédie, il critique l’incapacité de la communauté noire de France à susciter l’indignation plutôt que de réclamer un égal traitement journalistique de ses malheurs ; comme si tous les citoyens de ce pays avaient un égal accès aux médias. Du reste, le parallèle entre l’explication du prétendu antisémitisme afro-américain donnée par Baldwin – à savoir qu’ils étaient antisémites parce qu’anti blancs non pas qu’ils aient eu une haine viscérale contre une culture particulière - et l’antisémitisme dit noir de France n’est pas clair du tout.
Troisième moment de digression, dans le chapitre intitulé « De la nécessité de te lire ou de te relire aujourd’hui », AM invite à reconsidérer les tensions entre les minorités originaires d’Afrique et la majorité française à la lumière de l’œuvre de Baldwin. Là encore une fois le postulat posé est en faux avec le corps de la démonstration. Le postulat est la critique de la « victimisation » et de la « concurrence des mémoires ». Pourtant la suite logique de la démonstration de AM, reprend une bonne partie de l’argumentaire de ceux que les médias et l’intelligentsia français enferment dans ces concepts rendus péjoratifs.
Si Mabanckou, comme essayiste ne m’a pas plus convaincu ici que dans la polémique évoquée ci-dessus, il est en plus dommage que le ton qu’il a choisi n’exprime pas le formidable talent littéraire du romancier. Celui qui a fait le succès de « Verre Cassé » par exemple. Exception faite du chapitre « Le spectre de Saint-Paul-de-Vence » où il fait u n rapport romancé des derniers jours de Baldwin dans sa demeure de Saint-Paul-de-Vence. Magistral. Mais marginal.
"Lettre à Jimmy" de Alain Mambackou, éd Fayard.
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