28 juin 2009

Simone E. GBAGBO parle:"Paroles d'Honneur"

gbag_imA quoi le plaisir tient-il parfois ? Un livre que l’on extrait de l’étagère où depuis des mois, depuis son acquisition il se maquillait de poussière . Comme ça, machinalement. En passant. En route vers ce lieu terminus du superflu de ce que nous ingérons. Il commande en général la solitude. J’ai pris l’habitude de la compagnie d’un livre, d’un magazine , de quelques lignes pour y passer plus de temps que nécessaire. Une biographie ce jour là s’était offerte à mes doigts. « Paroles d’Honneur » de Simone E. Gbagbo (Ed. Paraos / J-M Laffont / Ed. Ramsay), la première dame de Côte-d’Ivoire. Je ne suis pas un fanatique des biographies et pourtant pour le coup je n’ai pas regretté le temps passé à suivre les épreuves qui ont mené les Gagbo jusqu’ à la tête de l’Etat ivoirien.

Avant toute chose il me faut évacuer une gêne qui de temps à autre a atténué mon plaisir. Un relent de bondieuserie parcourant l’ensemble de l’œuvre. Ça donne quelques inepties comme : « Pour être un bon dirigeant politique, il faut être profondément habité par la crainte de Dieu » (p. 244) ou bien « Je suis convaincue que, seule, la volonté de Dieu sera faite dans la résolution de la crise ivoirienne et non, la volonté exprimée dans les résolutions prises à l’ONU ou ailleurs » (p. 423) ou bien encore « La réconciliation véritable entre les différents enfants de ce pays est possible, à condition que le peuple ivoirien tout entier, sans distinction d’ethnie, accepte d’abord de se réconcilier avec Dieu (…) Dans ma randonnée pour la quête de la paix (…) je demande aux Ivoiriens de prier d’avantage, afin que le sang du Christ vienne sanctifier la terre de Côte-d’Ivoire » (p. 424).
gbag_im3

26 octobre 2000, la Côte-d’Ivoire vit la prestation de serment du premier président élu de son ère démocratique : Laurent Gbagbo. Son épouse, Simone, compagne dans les épreuves de la clandestinité politique en dictature et en amour, partant de ce moment d’accomplissement se souvient des stratégies, des coups reçus, de l’abnégation et la détermination comme on regarde dans un rétroviseur. On y voit s’éveiller la conscience de l’adolescent Gbagbo à l’épreuve des injustices : un père arbitrairement mis aux arrêts ou une récompense non seulement volée mais aussi les coups reçus pour avoir demandé justice. On y voit la jeune Simone, fillette intelligente et très tôt responsabilisée militer dans les mouvements de jeunesse chrétienne. Suivront la rencontre des deux dans des organisations syndicales, leur association dans la clandestinité politique, leur union amoureuse et enfin l’accomplissement de l’improbable : un candidat d’opposition vainqueur d’une élection organisée par un pouvoir militaire qui n’avait pas l’intention de se départir des plaisirs du pouvoir. Ainsi résumé, leur parcours est un long fleuve tranquille. Et pourtant…

gbag_im2Et pourtant si l’on songe que l’opposition de Gbagbo à Houphouët-Boigny remonte aux années 1960, soit au lendemain des indépendances formelles ; si l’on songe que ce dernier fut en Afrique, en son versant indigène, l’une des têtes pensantes de la françafrique, que par voie de conséquence il bénéficiait de la complicité de son autorité tutélaire – les gouvernements français - ; si l’on songe à tout ça, on peut subodorer qu’un tel parcours fut semer d’embûches. Mais ce qu’on peut alors imaginer n’est rien au regard du quotidien de cet engagement politique que Madame Gbagbo détaille par le menu.

Un quotidien fait de clandestinité, d’exil, de violence morale et physique, d’humiliation, de tentatives de cooptation. Elle montre comment, même en France, pays supposé des libertés, Houphouët pouvait être actif : soit en empêchant via les réseaux françafricains des conférences auxquelles Gbagbo était invité soit en lui faisant proposer la nationalité Française (qui décrédibiliserait son discours à l’intérieur) quand ce dernier ne quêtait que la protection d’un statut de réfugié. Elle se souvient des séjours carcéraux récurrents, des brutalités policières, des pressions psychologiques. Méfaits du régime PDCI – l’ex-parti unique – exécutés par divers chefs de gouvernement y compris Alassane Ouattara.

Mais malgré les douleurs, les privations, les échecs et les chutes, le couple s’est toujours relevé et a tenu bon avec des compagnons convaincus comme lui de la nécessité de l’instauration d’un régime démocratique affranchi du carcan de l’ex-puissance coloniale.
1

982, naissance du Front Populaire Ivoirien (FPI), machine politique qui avec acharnement va affronter le Parti Démocratique de Côte-d’Ivoire (PDCI), parti unique/inique au pouvoir. Patiemment, consciencieusement, systématiquement, cette machine va entreprendre le maillage du territoire national, créer des relais à l’extérieur. Il va construire un discours et une éthique politiques cohérents. Il va méticuleusement agréger dans son sillage une masse critique d’hommes et des femmes conscients des enjeux politiques en cours et qui à plusieurs occasions se montrera décisive pour forcer des obstacles construits par le système politico-mafieux qui a fait main basse sur l’Afrique francophone.

gbag_im1jpegEmblématique de la façon dont la proposition du FPI rencontre les aspirations d’un peuple qui va l’aider à la porter, sa réaction lorsque le pouvoir PDCI, par une ultime manœuvre décide d’empêcher toute candidature contre Houphouët. Trois jours avant la clôture des candidatures à la première élection multipartisanne en 1990, à laquelle Gbagbo est désigné par son parti pour affronter le « Vieux », le pouvoir en place fait voter une « loi instituant le paiement d’une caution de 20 millions de francs CFA (environ 30.000 euros) par toute personne désireuse de faire acte de candidature à l’élection présidentielle ». Madame Gbagbo raconte l’aide précieuse de la population pour vaincre cet obstacle : « (…)Les auteurs de cette mesure nous savaient incapables de réunir une telle somme, même en fusionnant tous nos avoirs sur nos différents comptes bancaires. C’était un malin subterfuge pour éliminer la candidature de Laurent (…) Je retiens cette anecdote. Nous avions posé une grande bassine dans la cour de notre maison de la Riviera, (quartier d’Abidjan), et chacun apportait sa contribution en espèces ou par chèque. Je me souviens qu’un petit garçon a même cassé sa tirelire et est venu nous apporter une pièce de 25 francs CFA ! En deux jours la somme avait été réunie et même davantage. Trente six millions en tout ».
Une anecdote qui en dit long sur la capacité des peuples à porter certains projets politiques. Qui en dit long sur la résonnance qui s’était établie entre Gbagbo et une frange suffisamment large de ses compatriotes pour l’aider à être l'instrument qui allait mettre fin définitivement aux agissements du parti unique.
Si ce livre-témoignage de Simone Gbagbo paraît parfois décousu, dû à ce que le projet initial était celui d’un entretien secondairement converti en essai, il a l’inestimable intérêt de partager une expérience singulière rendue accessible à ses compatriotes et même à tous les militants d’Afrique subsaharienne. Un don précieux quand on sait la maigreur des témoignages au premier degré des quarante premières années d’indépendance formelle en Afrique.

Posté par segou à 21:52 - Permalien [#]