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20 septembre 2009

ELOGE DE LA CONTEMPLATION

"ELOGE DE LA CONTEMPLATION"

elog_imErrances cybernétiques. A l'affût des dernières trouvailles de mes inventeurs préférés. Au détour d'une de ces autoroutes ouvertes au public mais connues des seuls qui se donnent la peine de les fréquenter, cette pancarte: « Eloge de la Contemplation ». Impatience. Remous intérieurs. Prochaine sortie, retour précipité cers le monde réel. Dans un de ces temples du consumérisme où on peut tout acheter: les trésors comme la vacuité. Le plaisir en fin du toucher de cet opus. Première de couverture: le nom de l'auteur comme il se doit. Lyonel TROUILLOT. Espace. Le titre. Et une ligne plus bas, le genre. Poésie. Zut! De tous les genres littéraires, la poésie est celui que j'affectionne le moins. A peine un peu plus seulement que le théâtre. C'est qu'en général je n'y comprends rien. Bah! Puisque le roman de cet auteur s'écrit entre prose et poésie, peut-être sera-ce différent.

Est-il possible de parler de poésie autrement qu'en cédant la parole à l'auteur?

Dans le premier texte au titre éponyme, l’auteur du fond de la geôle où il est reclus se concentre sur l’unique objet dont la privation de liberté n’a pu le déposséder : l’image d’elle. L’être aimée dont il est accusé du meurtre. Alors systématiquement, il fait l’éloge de ce corps. Ses mains, sa nuque, son cou etc…


Coude

"Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire..."Refuge des grands noyés et des explorateurs, les yeux, tels un aimant, attirent la métaphore. Ce n'est point la matière de l'autre que l'on regarde dans ses yeux. Les yeux, comme les miroirs, en appellent à la vanité. Un soir, dans un bar, nous parlions de liberté. Tu buvais un rhum sour. Par besoin de miroir, je cherchais dans tes yeux des poèmes à chanson. Mais quand tu portais ton verre à tes lèvres, je regardais ton coude. Il n'y a qu'un coude dans un coude. La pointe de l'os sous la peau ne donne lieu à aucune image. Ton coude ne renvoie qu'à ton coude. J'aime ces parties de toi qui ne symbolisent rien. Je regarde ton coude dans son insignifiance et tu deviens une fin en soi." (Page 12)



"Nuque

Le poison est l'arme de la ruse: laisse donc à ton ennemie le plaisir de verser du venin dans ton verre. L'arme à feu nécessite trop de confiance en la mécanique. On oublie la beauté du geste pour parler de la marque, du numéro de série. Comparée aux autres formes courantes du suicide, la pendaison est un retour à l'arbre qui n'est pas sans poésie. Le pendu n'est jamais un homme comme les autres, il assume pleinement son statut de branche morte.

Comment imaginer qu'une chose fragile comme le cou puisse à la fois servir d'attache et de point de rupture! Je ne sais plus dans quel film un homme dit à une femme qu'en posant ses yeux sur sa nuque il concentre en ce geste la tendresse interdite aux lèvres. Instrument de rupture avec les interdits, la nuque est le refuge des regards solitaires. Patiente, me dis-je, en regardant la tienne, dans l'attente de combler mon déficit de corde." (Page 19)



trouill_imDans « Les Dits du Fou de l’Île », > le deuxième texte, il tente une défense.


" Dernier jour

Leur plus récent stratagème consiste à me provoquer. Aujourd'hui ils m'ont comparé au plus terrible des adolescents. Moi qui ai toujours méprisé les adolescents. Leur débilité m'horripile. Une civilisation de l'enfance produirait peut-être le fauvisme, Chaplin ou le Petit Poucet. Imaginez la catastrophe d'une civilisation de l'adolescence: les paradoxes de l'ignorance, la revendication des droits de l'individu pour suivre les lois du plus grand nombre. Ces anarchistes de pacotille attendent qu'on leur paye leur loyer et que l'humanité finance les réseaux d'unanimité qui leur donnent de l'assurance. Ils pensent en bande. Papa, achète-moi de l'herbe et des milliers de Vendredi. Aucun adolescent ne pourrait vivre seul sur une île. Je n'en connais qu'un seul auquel on aurait pu faire confiance: Arthur Rimbaud, profession inventeur." (Page 48)


" Mardi 39

La poésie m'a toujours habité. Une des rares formes de communication à justifier le dérangement. On est bien avec soi-même. Pourtant je n'ai jamais su réussir le moindre vers. J'ai essayé sous divers pseudonymes et de multiples identités. Toujours quelqu'un m'avait précédé, forcé mes antres, usurpé mes dérives, marché sur mon île. Il me coûte de réaliser à chaque lecture que je ne suis guère aussi seul que je l'avais cru. Faute de pouvoir intenter des procès pour mes droits d'auteur à mille milliards d'usurpateurs, je travaille sur une grande œuvre de bricole. J'ai tout écrit sur une page de sorte que chaque image prenne appui sur la précédente et la rende totalement illisible. Récrivant tous les livres sur ma vieille feuille déchirée, je garde comme un grand secret tous les mots du monde dans ma tête. J'efface en écrivant. J'écris en effaçant. Je l'un ou l'autre, ou l'inverse. N'importe. Je cultive les passerelles." (Page 50)

Dans le troisième et dernier texte, “Rendez-vous”, il revient sur la rencontre. Et ses hésitations quand on manque d’assurance.


“ (...) La femme se lève et va aux toilettes.

L’homme la regarde marcher.

Son regard suit ses pas.

Il trouve que le rouge lui va bien.

Quand elle revient, il se rend compte qu’il attendait son retour comme quelque chose d’essentiel.

Comme si elle était partie pour longtemps.

Comme si son absence avait été difficile à supporter.

Il y a longtemps que l’homme n’a pas senti avec une telle violence la dureté d’un départ, le bonheur d’un retour.

Elle sourit.

Le rouge bien à son sourire.

Bêtement, l’homme a envie de lui prendre la main.

Mais il a appris à ne prendre que ce qu’on lui donne.” ( page 60)


Au-delà de la beauté de ces textes, TROUILLOT revient sur des thèmes récurents de son oeuvre. La difficulté, par exemple, d’établir le contact entre un homme et une femme quand l’écart d’âge est grand . Il s’explique aussi sur une particularité de ses textes et qui est pour beaucoup dans son talent, l’absence de paysage.

“ Les paysages ont toujours été pour moi d’un mortel ennui. Ma géographie est faite de visages”. J’ai toujours trouvé que la grande force de TROUILLOT est cette capacité, en quelques mots, malgré l’absece de description de paysages, de mettre le lecteur dans une ambiance particulière: de pauvreté souvent, de joie, d’ironie ou de saleté. Ça donne à ses textes une portée universelle malgré un ancrage évident dans la socièté haïtienne.

“Éloge de la Contemplation”, L. TROUILLOT; 62 pages. Arpents Riveneuve éditions.

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  • Sur cet espace, je m'exprimerai sur des sujets variables qui sont mes centres d'intérêt et qui couvrent divers aspects allant de la politique africaine à la littérature négro-africaine en passant par le sport et la musique.
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